Quand l'îlot anglo-normand de Sercq se rêve en grand vignoble
Agence France Presse, 22 septembre 2010
Par Simon Coss
SERCQ, Iles anglo-normandes - Les frères Barclay, magnats écossais, jumeaux et milliardaires, ont relevé un pari qui peut paraître insensé: produire du vin sur la petite île anglo-normande de Sercq, en comptant... sur le réchauffement climatique.
"Je faisais le tour de l'île quand je me suis dit que c'était possible. On produit bien du bon vin en Angleterre maintenant. Alors pourquoi pas ici?", explique Henry Strachey, ancien marchand d'art depuis longtemps installé sur cet îlot sous contrôle britannique situé à l'est de Guernesey.
Les Barclay, qui vivent reclus sur leur îlot privé de Brecqhou, à quelques encablures de Sercq, ont accepté de financer le projet à hauteur d'un million d'euros, de fournir cinq hectares de terre et de lui confier le futur domaine balayé par les embruns et les vents du large.
Le viticulteur bordelais Alain Raynaud, a apporté son savoir-faire technique, sa mission est de produire un vin "haut de gamme".
Fin avril, une équipe d'ouvriers agricoles français a planté les premiers ceps sur les parcelles surplombant les eaux limpides. Chardonnay, savagnin, pinot blanc et pinot gris pour les blancs, pinot noir et gamay pour les rouges.
Le nouveau vignoble voit le jour alors que beaucoup s'interrogent sur l'impact du réchauffement climatique sur la production viticole. Selon le mouvement écologiste Greenpeace, d'ici la fin du siècle, les vignobles pourraient ainsi voir leurs limites repoussées de plus de 1.000 kilomètres.
"On voit actuellement une reprise de l'activité viticole en Angleterre et dans les pays se trouvant au-dessus de la Loire", comme Sercq par exemple, note M. Raynaud.
Son but: "faire le meilleur vin possible pour assurer une consommation locale", mais aussi un vin "capable de traverser le +Channel+ et d'atterrir au Ritz à Londres", célèbre hôtel appartenant aux frères Barclay.
Henry Strachey table, les bonnes années, sur une production d'environ 40.000 bouteilles d'un vin auquel il ne manque désormais plus qu'un nom.
Les insulaires, quant à eux, restent partagés.
"Si ça amène plus de touristes sur l'île, ce sera positif. Mais ils prennent beaucoup de nos terres, ce qui veut dire moins de pâturages pour nos bêtes", explique Hayley Frankham en pointant du doigt la jument qui tire sa charrette, les voitures étant interdites sur l'île.
Le projet viticole voit le jour dans une atmosphère encore lourde, car l'île de 600 âmes, dernier Etat féodal d'Europe dépendant de la Couronne britannique, sort tout juste d'une période électorale troublée.
Fin 2008, les toutes premières élections parlementaires démocratiques, destinées à mettre fin à un système féodal remontant au 16ème siècle, donnèrent lieu à d'âpres luttes de pouvoir.
Les électeurs ont boudé les candidats soutenus par les frères Barclay, les premiers employeurs sur Sercq, dont la fortune globale pèse 1,76 milliard d'euros, selon le magazine Forbes. En représailles, les jumeaux menacèrent de stopper leurs investissements sur l'île.
Même si les affaires ont repris, divisions et dissensions perdurent entre pro et anti-Barclay. "Si vous dites du bien des Barclay, vous pouvez être sûrs que la moitié de l'île vous tombe dessus. Si vous en dites du mal, c'est l'autre moitié qui vous débine", explique un jeune insulaire, sous couvert d'anonymat.
M. Strachey espère que le projet viticole contribuera à réconcilier la petite communauté. Selon lui, "rien de tel que de se sentir faire partie d'un tout, cela fait tomber les barrières, pousse les gens à communiquer. Voilà de quoi il s'agit, au fond".